Tomohiro Nishikado - Le père du jeu vidéo japonais
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Interview du développeur Tomohiro Nishikado (2000)
Initialement publié dans le mook game maestro volume 1
En tant que créateur du révolutionnaire Space Invaders, on pourrait vraiment dire de Tomohiro Nishikado qu’il est le père du jeu vidéo japonais. Cette interview fleuve issue du livre Game Maestro couvre les premières années du jeune ingénieur chez Taito, son travail sur des jeux électromécaniques hautement sophistiquées (en leur temps), avant d’entrer dans le détail du développement, et des défis à relever, au moment de la conception de Space Invaders. En tant que compte rendu des premières années du jeu vidéo, ceci constitue une source d’information très importante.
J’aimerai commencer cette interview en vous posant quelques questions d’ordre général sur vos débuts. Quel genre de compagnie était Taito à l’époque où vous l’avez rejoint ?
Nishikado : Son activité principale résidait dans les Jukebox, mais elle avait une petite filiale qui développait des jeux. Elle faisait ce que l’on appellerait aujourd’hui des jeux électromécaniques. Mais la plupart étaient des copies de jeux provenant de l’autre bout du Pacifique… Pas littéralement des copies, au sens strict du terme, mais à cette époque la filiale produisait ses propres versions de ce qui marchait à l’étranger. Personne ne produisait encore de titres originaux.
Jusqu’alors vous travailliez comme ingénieur dans l’audio. Qu’est-ce qui vous a soudainement donnée envie de changer de métier pour rejoindre Taito Boueki (Taito Trading Company) ?
Nishikado : Après avoir donné ma démission, je suis resté oisif pendant près d’un mois. J’avais une connaissance que je croisais par moment tout près de la station de train. Il était mon supérieur et collègue dans mon ancien travail. Un jour je lui ai demandé ce qu’il faisait dernièrement, et il m’a dit qu’il travaillait à présent dans une entreprise du nom de Taito, spécialisée dans les jeux électromécaniques. J’étais au fait de ces machines, je les voyais installées dans les étages des grands magasins et dans les supérettes quand j’étais gamin. Il s’agissait de simples simulations de conduites, vous orientiez le véhicule en essayant de ne pas sortir de la route.
Ce boulot me paraissait intéressant, j’ai donc commencé à lui poser des questions, et il a fini par m’inviter à venir y travailler. Il m’a dit que l’entreprise avait besoin d’ingénieurs. En fait je venais tout juste d’accepter une autre offre d’emploi dans une boîte de communication. Je me retrouvais ainsi dans une impasse. Mais mon ami a insisté en prétextant qu’il avait besoin de mon aide, j’y suis donc passé pour une entrevue et j’ai fini par accepter l’offre de Taito.
Tomohiro Nishikado courant de l’année 2000
Quel a été le premier jeu sur lequel vous avez travaillé chez Taito ?
Nishikado : Mon premier job concernait un titre importé des Etats-Unis, un jeu de pistolet du nom de Ghost Gun.
Ah, un jeu de lightgun.
Nishikado : Oui, Oui. Mais en fait je n’ai pas utilisé la technologie des lightgun. Aujourd’hui nous utiliserions simplement un rayon lumineux pour viser la cible, mais à l’époque c’était beaucoup plus simple (rires). Quand vous utilisiez le pistolet, il y avait un circuit dans la borne qui bougeait en même temps. La cible intégrait elle aussi un circuit, et lorsque votre mire était parfaitement alignée, le capteurs du pistolet et de la cible entraient en contact et formaient un circuit complet. Si vous appuyiez sur la détente, l’électricité parcourait le circuit et la cible s’illuminait.
Nishikado : J’ai souvenir qu’au premier abord ça m’a beaucoup surpris. A l’université et dans mon précédent emploi, je travaillais à haut niveau en termes de recherches et de technologies, mais ce que je voyais me faisait plus penser à des jouets de gamins… Par moment je me disais que j’avais commis une grosse erreur en rejoignant cette compagnie ! Nous en étions encore à l’ère des transistors, mais lorsque j’ai suggéré de faire un jeu avec ce niveau de technologies, la direction m’a fait entendre que c’était trop onéreux. Il m’était impossible de les convaincre. Heureusement ils m’ont au moins laissé utiliser les relais électromécaniques…
Les relais électromécaniques, vous voulez dire ceux fonctionnent à l’aide d’un courant électrique et avec un interrupteur on/off ? Whoua, c’est vraiment basique ! Quel type de jeu électromécanique avez-vous conçu avec cette technologie ?
Nishikado : Le marché des jeux au Japon se limitait alors à des machines importées, j’ai donc pensé qu’il fallait créer quelque chose d’original. J’ai conçu un certain nombre de jeux aux styles très différents. Deux ans après avoir rejoint Taito, j’ai fait un jeu de tir du nom de Sky Fighter. Ce fut un gros succès. J’ai utilisé un dôme acrylique dans lequel une maquette d’avion tournait et que vous deviez essayer d’abattre. Lorsque vous le touchiez, il explosait. Je sais que ça ne ressemble à rien lorsqu’on l’explique aujourd’hui, mais pour son temps ce jeu était révolutionnaire. Les avions semblaient vraiment flotter dans des courants aériens, et pour autant je n’ai pas utilisé ni chaînes et ni fils ! Parmi tous les jeux électromécaniques de cette époque, je pense personnellement que c’était l’un des plus réussi.
Les avions n’étaient donc pas reliés à des fils ? Et comment alors avez-vous fait pour qu’ils volent ?
Nishikado : Hé, j’ai utilisé des miroirs ! Sous l’air de jeu, ce que les joueurs ne pouvaient voir, j’ai placé les maquettes, et j’ai alors utilisé des miroirs inclinés pour les refléter dans le dôme. Pour le défilement du décor, j’ai peint les images du ciel dans un container de film que je faisais rouler dans un tambour. Tout ceci était aussi réfléchi dans le miroir et on avait l’impression de voir de véritables nuages et un ciel. Pour finir, les trajectoires des balles étaient-elles aussi réfléchies dans le miroir, ce qui faisait qu’au total j’utilisais trois miroirs différents.
Utiliser tous ces miroirs, ça ressemble à une sorte de tour de magie.
Nishikado : En fait quand j’étais encore étudiant, je faisais partie d’un club de magie, et je m’étais demandé comment je pourrai utiliser certains tours de passe-passe dans un jeu. Les gens qui ont vu Sky Fighter en mouvement ont été surpris : « Wow, mais comment fait-il pour les faire voler ainsi !? »
Mr Nishikado nous explique les rouages de Sky Fighter.
Il s’agit presque d’une “machine magique” : insérer une pièce et place au tour de magie ! Mais je ne peux m’empêcher de penser combien il a dû être difficile de produire un jeu « artisanal » tel que Sky Fighter. N’étais-ce pas chronophage de produire une seule machine ?
Nishikado : Oui, je pense que ça m’a pris près de 6 mois pour en fabriquer une seule. Aujourd’hui vous pouvez simplement compiler le programme et vérifier les bugs instantanément. Mais à cette époque, nous montions nos machines à partir de plans dessinés à la main, et il fallait que les métallurgistes et autres artisans viennent deux semaines, voir deux mois si ça se passait mal, pour finir leur part du travail. Ensuite nous procédions aux révisions qui nous prenaient encore quelques mois.
Combien des personnes vous a-t-il fallu pour faire ce seul jeu ?
Nishikado : Je me suis moi-même occupé de toute la partie mécanique. Puis quelqu’un d’autre a travaillé sur la partie électrique et une autre sur la borne (pour des choses telles que le panel, le logo, etc…). Donc trois personnes en tout.
Donc tous les plans étaient de votre fait ?
Nishikado : Je les ai fait. C’était aussi mon premier banc d’essai. Eh bien, en fait, je m’y étais un petit exercé à l’université, mais je n’ai jamais vraiment conçu de plan avant de rejoindre Taito.
J’aimerai à présent vous poser quelques questions au sujet de Taito. Quand l’entreprise a-t-elle commencé à faire des jeux vidéo ?
Nishikado : En 1972, lorsqu’Atari a sorti Pong, qui fut importé au Japon à la fois par Sega et Taito. A cette époque, quand le personnel a vu ce « jeu vidéo » dernier cri, beaucoup ont pensé qu’il ne marcherait pas des masses. Le prix était trop élevé. Une seule de ces machines coûtait au bas mot entre 600'000 et 800'000 yens (approximativement 6000/8000€). Et pour nous, ça ne ressemblait à rien d’autre qu’une télé dans une grosse boîte avec cadre apposé sur l’écran… On s’est dit que ça n’avait aucune chance de se vendre ! On en a acheté un seul exemplaire.
Nous avons installé la borne que vous venions d’acheter chez un importateur pour faire un cheval d’essai, et à notre grand étonnement il était populaire. Tout le monde a changé d’avis du jour au lendemain : «La nouvelle ère sera celle des jeux vidéo ! ». La direction a fini par prendre conscience que nous pourrions aussi produire nos propres jeux chez Taito. Pour ce faire, elle aurait besoin de quelqu’un qui s’y connaissait en matière de circuits électronique, et j’étais la seul personne chez Taito à posséder ce bagage. On m’a alors naturellement donné le poste.
Et pour l’époque c’était encore une rareté.
Nishikado : Oui. Pong utilisait des circuits intégrés (ou puces électroniques) reliés les uns aux autres qui faisaient office de relais. Mais la chose est que ces circuits n’étaient pas encore fabriqués au Japon, et donc en regardant Pong, je n’ai pas tout de suite compris comment ils étaient assemblés. Ce fut un gros défi que de démonter la carte et l’analyser. Je n’avais pas d’autre choix que de cataloguer chaque puce, de prendre ma lampe de poche pour éclairer la PCB, et tenter d’identifier quels composant était connectés les uns aux autres. Après 3 ou 4 mois de travail, j’ai été en mesure de recréer le plan de la carte. Mais quelque part, le long d’une ligne, j’avais commis une erreur, ce qui m’a obligé à passer encore plus de temps à analyser et la réparer. En fin de compte il m’a fallu un peu plus de six mois. Heureusement, j’aime bien faire ce genre de choses, et j’ai travaillé dessus jour et nuit sans prendre le moindre jour de repos.
Le circuit de la carte Pong que Mr Nishikado a décortiqué afin de créer ses propres jeux vidéo.
Donc juste pour comprendre la façon dont la balle se mouvait dans Pong, comment bougeait la raquette, tout cela vous pris 6 mois ?
Nishikado : Exactement. Cependant, comme j’avais perdu tout ce temps à l’analyser et chercher à le comprendre, je ne voulais pas simplement faire une copie de Pong. Appelez ça de la fierté si vous voulez, mais je voulais un petit peu l’améliorer. Le jeu que j’ai conçu était Soccer. J’ai ajouté une autre raquette et ajouté un but à l’écran. C’était simple, mais il possédait une bonne sensation de vitesse et était plutôt amusant. A l’époque, j’étais probablement la seule personne au Japon qui comprenait comment fonctionnait Pong et à avoir fait un jeu original basé dessus. Sega a importé Pong, mais ils n’ont jamais fait leur propre jeu.
Soccer était-il installé dans les Game Centers ?
Nishikado : Oui. Il fut le premier jeu vidéo produit au Japon. Plus tard, on a également publié une version 4 joueurs de Pong appelé Derby Cup.
Est-ce que ces jeux ont été exportés hors du Japon ?
Nishikado : Ils l’étaient ! Le premier titre à l’export fut Speed Race en 1974. Midway, une compagnie américaine, en fit l’acquisition. Personnellement c’est l’un de jeux que je trouve le plus réussi. Il est à l’origine des jeux de courses. L’écran était encore monochrome, mais nous étions en mesure d’utiliser des sprites plus plausibles pour les véhicules plutôt que d’abstraites formes géométriques. En ce temps, Atari était le producteur N°1 aux Etats-Unis, et l’entreprise avait sorti un jeu de course de leur cru nommé Gran Trak 10, mais il était bien plus compliqué. Speed Race possédait une bien meilleure sensation de vitesse, et je pense que sa simplicité le rendait beaucoup plus amusant.
Au cours des activités à l’export de Taito, n’avez-vous jamais visité les Etats-Unis ?
Nishikado : C’est le cas et je crois que fut bien la première fois que je me rendis en Amérique. Nous avons présenté nos titres à l’AMOA Show, qui était alors le plus grand salon de jeu vidéo au monde. Après avoir observé ce que le salon présentait, je me souviens m’être dit que nos jeux chez Taito étaient bien mieux finis !
Les Etats-Unis ne sont-ils pas le lieu de naissance des jeux vidéo ? Vous êtes-vous déplacé chez Atari, ou bien dans d’autres entreprises ?
Nishikado : Ah oui, j’ai rencontré le Président d’Atari. Il m’a demandé « Pourquoi ne pas venir travailler chez nous ? ». Et lorsque j’ai demandé en plaisantant au Vice-Président qui se tenait là, « Et quel est le montant du salaire ? », j’ai appris qu’il était pour le moins élevé ! C’était 5, voir 6 fois plus que ce que me versait Taito. Si je n’étais pas marié, honnêtement j’aurais accepté (rires).
Juste à ce moment-là, Atari venait publier Breakout. Ses graphismes étaient sommaires mais il était amusant. Alors que j’essayais de travailler des sprites et de rendre les graphismes plus détaillés, les designers de Breakout ont eu une approche d’une toute autre forme. Ceci m’a fait réaliser que les graphismes ne sont pas le point essentiel dans un jeu vidéo. L’un des gestionnaires chez Taito a dit en plaisantant « Mais qu’est-ce qui se passe ! Les Américains nous ont battu ! » Mais il s’est avéré que c’était juste.
Soccer la première PCB à avoir été fabriquée au Japon.
C’est à cette époque que les jeux vidéo ont commencé à utiliser des microprocesseurs si je me souviens bien.
Nishikado : Oui. Chez Atari, leurs ingénieurs ont été les premiers à utiliser des ordinateurs pour concevoir des jeux vidéo. Le titre Taito Western Gun fut notre ticket d’entrée dans le marché US, mais Midway à payer pour obtenir la licence et ont repris le jeu pour utiliser un microprocesseur. En tant que jeu, la version Taito était bien plus amusante, mais parce que la version Midway utilisait un ordinateur, les mouvements étaient bien plus souples et visuellement le jeu était plus agréable. En tant qu’ingénieur, ce fut le moment où j’ai pris conscience que Taito devait commencer à utiliser des microprocesseurs. Et le premier titre où je les ai employé fut Space Invaders.
Vous mentionnez Breakout en tant qu’inspiration, mais quels étaient les aspects du titre que vous jugiez intéressants ?
Nishikado : J’aimais le procédé qui voulait que vous ne pouviez accéder au prochain stage qu’à condition de détruire tous les blocs. Les titres qui le précédaient n’avaient ce concept du «All Clear ». J’aimais bien aussi la façon dont la difficulté évoluait car le dernier bloc était vraiment ardu à faire sauter. J’appréciais aussi le fait que la vitesse de la balle ne cessait de s’accroître. C’était un gameplay de qualité. Je voulais essayer de concevoir un jeu embarquant tous ces éléments mais avec de meilleurs visuels.
On était aussi en plein dans l’âge d’or de la SF : Star Wars venait tout juste de sortir aux Etats-Unis, et le film Space Battleship Yamato, venait d’être diffusé dans les salles au Japon. Est-ce là que vous avez eu l’idée de l’Invasion Extraterrestre ?
Nishikado : Les gens disent souvent que Star Wars a influencé Space Invaders, mais pour être honnête, ils ne sont pas spécialement liés. Bien sûr le film était populaire au Japon et on pouvait aussi lire sa novélisation. Moi aussi j’aimais bien les films de SF. Cependant, à la base je voulais que les ennemis soient représentés sous forme de tanks. Mais le fait est qu’avec les tanks, si leurs canons ne vous font pas face, je trouve que ça ne rend pas très bien. Dans le jeu que je désirai faire, les ennemis se déplaçaient horizontalement (côte à côté), ce qui signifiait que les canons auraient dû pivoter de 45° en se déplaçant de côté. J’ai donc dû faire l’impasse sur les tanks.
Je me disais, si ça ne marche pas pour les tanks, on va partir sur des avions ! Mais à ce moment, la technologie en cours ne permettait pas encore d’animer les objets avec fluidité. Compte tenu des limitations, j’ai pensé que des extraterrestres pourraient faire l’affaire, en sachant qu’ils ne dénoteraient pas avec des animations spasmodiques et saccadées, ni même que cela paraîtrait bizarre lorsqu’ils descendraient soudainement vers vous. Et à cette époque, on représentait beaucoup les martiens sous forme de poulpes.
Oui ces aliens en forme de poulpe ou de calmar s’inspirent plus de la Guerre des Mondes d’H.G. Wells que de Star Wars.
Nishikado : En fait le titre « Space Invaders » n’a pas non plus été de mon fait. Le titre que je voulais initialement était « Space Monster ». Cependant, juste après la fin du développement, la direction m’a demandé de remplacer « Monster » par « Invader ». Je n’en ai pas vraiment compris la raison, mais je ne pouvais rien y faire. «Monster » et « Invaders » ont le même nombre de lettres, ce n’était donc guère compliqué d’inter changer les lettres dans le programme, mais pour les versions étrangères on m’a demandé de passer au pluriel : « Invaders ». Ajouter une lettre supplémentaire m’amenait à retoucher au programme et ce fut loin d’être de tout repos.
Comme il s’agissait de votre premier jeu vidéo fait de A à Z, j’imagine que le développement de Space Invaders a dû vous prendre beaucoup de temps.
Nishikado : Etonnement j’ai programmé le jeu très rapidement et ça ne m’a pris que 3/4 mois pour en voir le bout. Mais tout le travail préparatoire qui a précédé, comme préparer les conditions au développement et la programmation, m’a pris en tout six mois. Ce fut le tout premier jeu développé au Japon à l’aide d’un microprocesseur. Les ordinateurs personnels n’existaient pas encore à l’époque, j’ai donc dû créer ma propre unité de développement. Il y avait bien des stations de travail et des équipements de ce style aux Etats-Unis, mais tout ceci coûtait des dizaines de milliers de dollars… J’ai dû moi-même acheter les puces électroniques, les souder à la carte, et les programmer directement en assembleur. En regardant les tableaux de conversions hexadécimales, j’ai programmé avec patience toutes les tâches, en mémorisant les conversions au fur et à mesure.
Vous vous êtes occupé du programme, des graphismes et du son en solo ?
Nishikado : Oui. La capacité à gérer des calculs complexes, à augmenter la vitesse des Invaders, ou de gérer la collision du tir avec les Invaders ; tout ceci était gérer par le microprocesseur. Vous ne pouviez rien faire de ceci dans un jeu sans un ordinateur.
J’ai cru comprendre que quand Space Invaders fut finalisé, la reception chez Taito fut pour le moins tiède.
Nishikado : Oui. Les personnes impliquées dans le développement (y compris la direction) pensaient que c’était un bon titre. Certains membres du personnel disaient « Excusez-moi, je dois aller aux toilettes », faisaient un détour et jouaient à Space Invaders, en étant tellement absorbés par le titre qu’ils en oubliaient de revenir bosser. Et ça me rendait heureux. Cependant d’autres personnes ne l’appréciaient guère, en se plaignant qu’ils n’en voyaient pas le bout. Par la suite nous avons fait une démonstration privée devant un parterre d’exploitants de Game Center et l’accueil fut désastreux. Ils le trouvaient trop difficile.
En effet, pour son époque, ce jeu était très difficile. Les Invaders visaient et tiraient directement sur le joueur, et si l’un d’eux franchissait votre ligne de défense, c’était directement le Game Over. Dans les vieux jeux, même si vous étiez mauvais, vous pouviez au minimum jouer 3 minutes. Mais dans Space Invaders, si vous laissez les ennemis vous agressez, vous ne tiendrez même pas 5 secondes. Il n’a donc pas été très bien reçu au moment de sa présentation. Un an plus tard, on l’a présenté au grand public dans un salon dédié à l’arcade, mais nous présentions en même temps un autre jeu, Blue Shark (importation d’un titre Midway), qui fut présenté comme notre titre phare tandis que Space Invaders était relégué au second plan.
Un café typique lors de l’Invaders Boom de 1978.
Combien de temps vous a-t’il fallut pour vous rendre compte de l’Invaders Boom ?
Nishikado : Chez Taito la direction ne croyait plus trop au titre, donc elle n’en attendait plus rien. Cependant, un ou deux mois après l’installation du jeu dans les Game Centers, le Prédisent de Taito avait remarqué que « Ce jeu, Space Invaders, devient de plus en plus populaire ! Tout le monde en parle ». Et juste après que ce fut le début de la folie.
Et c’est avec l’Invaders Boom qu’ont surgit les fameuses techniques dans les cercles de joueurs, comme la technique Nagoya-Uchi (Nagoya Shot ou Nagoya Attack).
Nishikado : Jusqu’à la découverte du Nagoya Shot, personne chez Taito n’avait jamais envisagé ce genre de technique. Le fait que les tirs des Invaders ne puissent pas vous tuez tout au bas de l’écran, venait d’une erreur de programmation. Un jour, j’ai pu observer un très bon joueur pousser le score aux alentours des 150'000 pts. Quand j’ai regardé attentivement ce qu’il faisait, j’ai vu au plus bas de l’écran une rangée d’Invaders dont les tirs semblaient passer au travers du vaisseau. C’est parce-que j’avais programmé leurs tirs de telle manière à ce qu’ils sortent un poil plus en avant que le positionnement des Invaders.
Je voulais aussi rendre l’apparition des UFO aléatoire. Mais j’ai fini par me dire que générer des chiffres aléatoires allait être une véritable casse-tête. J’ai fini par abandonner l’idée pour faire apparaître les UFO en fonction du nombre de fois que le joueur tirait. Malheureusement, ils ont très vite découvert le pot aux roses. J’en étais bouche bée.
Je me souviens aussi de la Rainbow Technique. Les joueurs laissaient uniquement vivant la rangée d’Invaders située au bas de l’écran.
Nishikado : Malgré tous les tests que nous avons pu faire, je n’aurais jamais imaginé que les joueurs laisseraient une rangée d’Invaders vivants, donc on n’a jamais pensé à vérifier cet aspect. Si vous jouez normalement, vous commencez par tirer sur ceux qui sont proches, les plus gros en somme, puis vous continuez en ligne droite. C’est intéressant, la Rainbow Technique est l’un de ces phénomènes qui est née de ce que l’on ne pouvait anticiper.
Oui, ce genre de méprise a engendré un phénomène intéressant fait de rumeurs et de techniques secrètes qui s’échangeaient entre joueurs. Est-ce que toutes ces stratégies ont été compilées dans un livre ?
Nishikado : Hmm ... bonne question. Je n’en suis pas sûr.
Pourtant il y avait bien ce manga “Game Center Arashi” qui parlait de Space Invaders et a donné au grand public les clés du Nagoya Shot. Au passage, Space Invaders était-il populaire aux Etats-Unis ?
Nishikado : Très populaire. Je pense même qu’il aurait pu être plus populaire en Amérique qu’au Japon. Il a aussi fait l’objet d’un portage par Atari.
Je comprends, il y avait un gros problème de copyright, entre les clones et les imitations.
Nishikado : Maintenant que vous le dites, même Nintendo en a fait un. Mais le leur n’était pas exactement une copie.
Sega a aussi sorti une copie de Space Invaders.
Nishikado : Je crois me souvenir que j’y jouais quelque part. Il y en avait trois variétés si je me souviens bien.
Finalement il y a eu un procès à ce sujet, et c’est ce jugement qui a établi une jurisprudence quant à la reconnaissance des droits d’auteurs pour les jeux vidéo. Qu’avez-vous fait après Space Invaders ?
Nishikado : Je réalisé Space Invaders II en 1979. Je ne garde pas vraiment de bons souvenirs de la période qui suivit. Peu après Namco a sorti la même année Galaxian, et ce jeu mettait en avant des sprites tout en couleur, mais Taito avait encore un bon nombre de cartes de Space Invaders stockées, mais elles n’affichaient que du noir & blanc, et la direction voulait que je fasse un nouveau jeu avec. J’ai conçu Balloon Bomber en 1980, et d’autres jeux, avec ce stock. Ils disposaient tous d’un bon gameplay mais leurs graphismes étaient datés. Cela faisait peine à voir en les comparant à Galaxian.
Je vois, le stock de carte était monstrueux. Je suppose que c’est le mauvais côté des choses lorsqu’un jeu se vend trop bien.
Nishikado : Durant cette période, de nouvelles recrues sont entrées chez Taito et j’ai pris en charge le poste de manager des ressources humaines, ce qui ne m’aidait pas à créer quoique ce soit de vraiment nouveau. J’ai travaillé sur des jeux pendant près de deux ans, mais après j’ai fini par me lasser. J’ai été transféré dans une autre division ou j’ai développé d’autres projets.
J’ai conçu une machine automatique pour les foires qui jouait de la guitare, et travaillé sur un système qui permettrait au Game Centers de fonctionner avec des cartes prépayées. C’était bien sûr avant les cartes téléphoniques. Cette idée était un peu trop en avance sur son temps, je n’ai donc jamais réussi à la finaliser. J’ai aussi travaillé sur des arrangements de Karaoké. J’ai acheté un pack de son Electone et composé des versions électroniques de chansons populaires pour ce Karaoké.
Whoa, vous avez aussi fait un Karaoké ! Sachant que vous aviez une expérience dans le domaine de l’audio, cela fait sens que vous soyez impliqué dans ce type de projet.
Nishikado : Aujourd’hui les Karaoké peuvent s’utiliser via le net, mais à cette époque nous en étions encore à l’ère des coupleurs acoustiques. On essayait encore de savoir comment transmettre les données au Karaoké, et nous avons mené beaucoup de tests en ce sens. De plus, avant que la Famicom ne sorte, j’étais en train de travailler sur un projet de console de salon. J’utilisais un microprocesseur Américain, en fait le même que celui de la Sega SC-3000. Malheureusement, le projet a dû être abandonné.
Avez-vous conçu d'autres titres après cela chez Taito ?
Nishikado : En 1989, j’ai participé à quelques jeux Super Famicom. J’étais chef de section, de fait je n’ai pas du tout participé au travail de programmation ou quoique ce soit d’autre. J’ai travaillé sur Jinsei Gekijou et la série des Kyuukyoku Harikiri Stadium, et ce jusqu’à l’arrivée de la Playstation. Cependant comme j’étais producteur, je n’ai pas du tout mis les mains dans le cambouis, et j’ai fini par de plus en plus ressentir l’envie de refaire des jeux par moi-même. J’ai donc fini par quitter Taito.
Quand avez-vous commencé à monter votre propre compagnie, Dreams ?
Nishikado : En 1997. J’avais tout planifié de mon côté, en présentant ma nouvelle compagnie aux dirigeants de Taito. Pop’n Pop est un jeu que j’ai fait par moi-même, en le planifiant et en le programmant de A à Z. Ce qui m’a pris 2 ans au total. Je suis aujourd’hui à la limite de mes capacités, mais j’ai engagé de nouveaux programmeurs et nous sommes au total 15 personnes. Malheureusement, la conséquence est que je dois à nouveaux assurer des fonctions managériales, et que je ne suis plus en mesure de me consacrer à des projets comme bon me semble. Et je dois aussi m’occuper de l’aspect financier de l’entreprise, ce qui rend les choses encore plus difficiles ! Mais l’avantage d’avoir sa propre compagnie est d’avoir un contrôle total sur le produit fini, ce qui me redonne toujours force et vigueur dans mon travail.
Êtes-vous en mesure aujourd’hui de vous atteler à des projets plus personnels ?
Nishikado : En ce moment je travaille pour le plaisir sur jeu à destination des enfants. Il s’agit d’un jeu électromécanique appelé « Magic Bell ». Je vois ça comme une expérience scientifique. C’est une sorte de quizz où vous devez trouver laquelle des cloches cachent une part de fruit. J’ai aussi utilisé des demi-miroirs. Et en moment même je pense à une suite appelé « Magic Hat ». J’ai déposé un brevet pour ce dernier.
En fait ça ressemble un peu à vos premiers jeux : l’aspect artisanal, l’usage de miroirs et les illusions d’optiques…
Nishikado : Oui, j’aime toujours autant ce genre de choses. D’un point de vue commercial, je pense ce n’est pas vraiment quelque chose que j’aurais pu imaginer faire.
Par ailleurs que pensez-vous des jeux vidéo actuels ?
Nishikado : Il y a encore beaucoup de hardcore gamers et de fans de jeux vidéo aujourd’hui, et j’ai comme le sentiment que les jeux doivent être conçus pour ce public. Personnellement j’aime les shoot’em’up mais je n’arrive vraiment pas entrer dans les productions actuelles. Je n’arrive tout simplement pas à les prendre en main, je me contente donc d’observer (rires). Dernièrement on m’a demandé de parler de vieux jeux. Je pense que dans beaucoup de titres actuels, le cœur de ces jeux est similaire à celui des titres pionniers. Beaucoup de jeux trouvent leur source dans Breakout.
Oui, et même dans des titres de l’époque, comme Pac-Man qui puisent dans un titre Sega de 1979, Head On.
Nishikado : Nous nous éloignons de nos origines à mesure que le temps s’écoule, je viens donc à penser que faire des recherches au sujet de tous ces vieux titres est amusant en soi. Je continue à penser que l’on peut encore exploiter de nouvelles idées et explorer de nouveaux horizons qui n’attendent que d’être découvert !
Le père des jeux vidéo japonais
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