Le développement de Xevious

Le développement de Xevious

Collection d'interviews de Masanobu Endo

 

En occident, peu de gens considéreraient Xevious comme l’un des classiques les plus marquants de l’histoire du jeu vidéo. Cependant au Japon, ce jeu ainsi que son créateur Masanobu Endo, jouissent d’un grand prestige. Xevious est considéré comme l’un des premiers gros succès « Post Invaders Boom ». Il est aussi courant de ne pas considérer les shoot’em’up sous le prisme du scénario et ou encore de paramétrages jugés complexes, mais pourtant Xevious est connu pour être l’un des premiers jeux à posséder un « monde » cohérent, quelque chose que l’on retrouvera par la suite dans Gradius et Darius, que ces deux jeux pousseront plus loin avec  l’idée de stages individuels (nb : comprendre que chaque stage a sa spécificité en termes de rendu graphique et de level design)

 

Pour illustrer mon propos, j’ai choisi de traduire trois interviews de Xevious. La première provient du magazine Beep ! (1985), soit quelques années après la sortie du titre. La seconde est une interview de 2003 du site GSLA, tandis que la troisième provient d’un livre sur l’émission « No Continue Kid », un drama dans l’univers des Game Centers dans lequel on voit à plusieurs reprises Xevious (que je recommande au passage).

 

Black Oak



1985



Ce que je tentais de faire avec Xevious était de donner pour la première fois un monde cohérent à un jeu vidéo, qu’il ait en somme ses propres spécificités. De plus, en tenant compte des limites du matériel disponible à cette époque, je voulais créer des sprites  de qualité. Et enfin, je voulais que l’histoire ne se contente pas d’être là en filigrane, mais qu’elle se tienne en tant que telle. Si vous le voulez, cette «expérience » était une toute nouvelle manière d’aborder la conception d’un jeu vidéo. En fait ça se rapprochait plus de la vision qu’ont les personnes en charge d’un anime ou d’un film.  


De fait, il est entré en résonnance avec la génération des fans d’anime, et Xevious, qui était un titre pour le moins controversé au sein de Namco, a inauguré une nouvelle ère pour le jeu vidéo. La conséquence de tout ceci est qu’après Xevious, l’attrait  pour les magazines dédiés aux jeux vidéo (tel que Beep !)  et la culture qui y est attachée est montée en flèche auprès d’un certain public.

 

Dans l’histoire de la musique, on dit que les Beatles ont élargi l’horizon du rock, et que les Rolling Stones ont pris le relai en creusant toujours plus loin le sillon. Eh bien dans l’histoire du jeu vidéo, je pense que Space Invaders et Galaga ont fait de même, et que Xevious a continué à dessiner les contours de ce que ses aînés avaient commencé à définir. 

 


2003



J’ai rejoint Namco juste après la sortie de Rally X. A cette époque Konami venait tout juste de sortir Scramble, et notre département marketing nous a donné l’ordre de faire un « Shoot’em’up jouable à deux boutons ». C’est ainsi que nous avons commencé le développement de Xevious. En fait, vous pouvez le deviner en voyant le jeu tourner, mais le vaisseau de Xevious aurait dû être à l’origine un hélicoptère, et l’action se déroulait durant la guerre du Vietnam. Mais un peu plus tard, il y a eu un remaniement du personnel et mon collègue plus âgé, qui était planificateur sur le jeu, a quitté le projet Xevious en plein milieu du développement et est passé designer en chef. A cette époque j’étais en charges des designs des sprites, mais la programmation était tout aussi amusante, et j’ai très vite appris sur le tas (rires).

 

La qualité et le sex-appeal des sprites de Xevious ne viennent pas tellement des capacités du hardware à afficher beaucoup de couleurs, mais plutôt à la façon dont j’ai subtilement utilisé les différentes nuances de gris. J’ai été grandement influencé par le Raytracing.

 

En plus la direction de Namco m’a dit « Les noms des ennemis sont bien trop difficiles à lire. Change-les ! », mais mon responsable a donné son aval : « On va décrocher le gros lot. Peu importe ce qu’ils te disent, ait confiance en toi-même ». Et après ils n’ont plus bougé d’un pouce ! Les hauts placés chez Namco ne comprenaient pas non plus qu’il puisse y avoir des « éléments cachés » tels que les Sols, mais quoiqu’il en soit je leur ai juste dit « Oh, ça c’est un bug… » et ils y ont cru (rires).

 

 

 

 

Toutefois j’ai un regret au sujet de Xevious. En fait vous pouvez jouer à l’infini avec une seule pièce de 100 yens. Je me souviens que j’étais résolu à donner une fin digne de ce nom pour mon prochain jeu (rires). Si vous ne mourrez pas, les premiers jeux d’arcade loop sans fin, je voulais donc créer une véritable fin qui marquerait un point d’arrêt obligatoire. Je me disais que si la fin était liée à l’histoire du jeu, et qu’elle donnait le sentiment d’avoir accompli sa mission, ça ne viendrait à l’idée de personne d’en contester le fondement.  

 

Après Xevious, je suis parti pour un voyage aux Etats-Unis dans le cadre d’une formation, et une fois là-bas j’ai fait l’acquisition du jeu de rôle Dungeons & Dragons. J’étais impressionné. Il faut dire qu’à l’époque j’étais à fond  dans Wizardy sur Apple II. J’ai alors essayé de faire un Action-RPG qui deviendra par la suite The Return of Ishtar. Mais à cette époque, je trouvais que les composantes RPG avaient trop de poids dans le jeu. J’ai préféré faire marche arrière et me recentrer sur un titre plus focalisé sur l’action, ce jeu s’est avéré devenir par la suite The Tower Of Druaga. Druaga réutilisait des PCB de Mappy, c’est pourquoi l’aire de jeu avait un aspect vertical.

      

Je suis content que les fans de Tower Of Druaga lui vouent un culte. Mais le fait qu’il ait rendu les joueurs paranos au sujet des astuces ou secrets, et qu’il a mis l’accent sur le concept du « all clear » sur un jeu, sont deux des conséquences sur lesquels je me suis penché. Mais était-ce pour autant un bon point de départ pour d’autres jeux… ? D’autre part, grâce à Druaga, les communautés dans les Game Center et la culture des notebooks (nb : petits carnets dans lesquels les joueurs partageaient leurs conseils et techniques) étaient nées, ce qui était un point positif.  

 

Si jamais on devait faire une vraie suite qu’il vaille le coup, je souhaiterai à tout prix être impliqué. J’ai déjà une bonne idée pour Xevious II : Vous iriez en direction de la Planète Xevious afin pour lancer une contrattaque et combattre le boss Oomoto (rires) !

 

 

2014



C’est le service marketing qui a planifié et mis en chantier le projet Xevious. On se disait qu’un shooting game doté d’un scrolling et jouable à deux boutons serait un hit (nb : replacer dans le contexte ce n’était pas la norme avant que Scramble ne montre la voie à suivre en 1981). En ce sens, il s’agissait d’un jeu dans la norme qui essayait de suivre les tendances du marché.  Le but à l’époque, n’était pas de programmer un jeu à la difficulté démoniaque, mais plutôt un titre qui inclurait les nouveaux venus dans l’arcade. J’ai travaillé avec mon supérieur qui était aussi mon mentor, et il m’a fait faire un grand nombre de choses : Il avait juste créé l’ossature et les éléments basiques du jeu, et c’était mon rôle d’étoffer cette base.

 

Par exemple, j’ai dû de me débrouiller pour essayer de représenter un tank avec des sprites. J’ai dû faire de même avec les Bacura, ces plaques métalliques qui semblent tournoyer sur elles-mêmes. En fait j’ai simplement changé le gradient de luminosité pour simuler ce mouvement. Tandis que le développement avançait, j’essayais même de trouver un moyen pour que Xevious deviennent un anime… Bah, quand on est jeune, on ne fait jamais les choses à moitié (rires).  

      

Tout juste deux semaines après la sortie de Xevious dans les salles, j’ai ouïe dire que quelqu’un l’avait « counterstop ». En toute honnêteté j’étais un poil effaré par le niveau de ce joueur (rires). J’ai alors reçu une très longue vidéo de près de 6 heures de la part du joueur, Yasuhiro Ohori, qui par la suite est devenu le président de Matrix Software. Je crois me souvenir qu’il était encore collégien à cette époque. Cet adolescent au crâne rasé s’est pointé rayonnant de fierté en me disant : « J’ai fini ce jeu ! Je l’ai counterstop !». On a alors regardé sa vidéo et discuté. Je lui ai dit que je trouvais ça incroyable, et puis après je n’avais plus vraiment grand-chose à dire (rires). Il m’a demandé d’écrire quelque chose à ce sujet. Les dirigeants de Namco n’y voyaient pas d’inconvénients, il est parti et par la suite a publié un guide « Comment obtenir 10 millions de points sur Xevious » (1)

 

 


 

 

On a fini par ajouter un réticule de visée si vous cherchez à atteindre un ennemi situé au sol. Je disposais de trois couleurs pour travailler ce réticule, et je me suis dit qu’il y avait possibilité de les utiliser pour le faire clignoter. J’ai codé cet élément de telle façon à ce que lorsque vous touchez un ennemi avec le réticule, ce dernier se mette à clignoter, pour signifier au joueur « Feu à volonté ! ». Puis j’y ai à nouveau  pensé : que se passerait-il si le réticule clignote, indiquant au joueur qu’il doit tirer, mais qu’aucun ennemi ne soit apparent… ? C’est ainsi que m’est venu l’idée d’ennemis invisibles, les Sols. Mais les pontes de Namco sont sortis de leurs gonds (rires). A cette époque on jouait aux Shooting Games pour évacuer le stress, se défouler et passer un bon moment, et là j’ajoute un ennemi que l’on ne peut même pas voir ! Et comme il s’agit d’ennemis situés au sol, vous ne pouviez pas tirer à vue. Les dirigeants s’en sont plaint « Pourquoi ajoutez quelque chose qui s’éloigne du concept que nous avions établi ? »

 

C’est comme pour les drapeaux spéciaux (nb : bonus cachés dans le décor comme les Sols). Ils proviennent de Rally X, titre que personnellement j’apprécie beaucoup,  mais qui fut vite éclipsé du marché par Pac-Man. J’ai ajouté ces drapeaux car je voulais que les joueurs y fassent plus attention dans Rally X ! Lorsque je les ai ajouté, il y avait un peu de sarcasme de ma part. En fait pas mal de choses que j’ai créé viennent de mon esprit de contradiction.    

 

« Même l’ennemi peut avoir une forme d'honneur » 

 

Une fois l’idée en tête, l’histoire et l’univers de Xevious me sont venus d’un coup. Bien sûr ce thème est issu de Space Runaway Ideon (rires).  L’autre thème pouvait se définir ainsi : « Y a-t’ il dans l’espace quelque chose que l’on peut considérer comme une entité extraterrestre ? » Je suis parti de l’idée d’une civilisation extraterrestre  pour arriver à celle d’une ancienne civilisation. Si ces êtres qui avaient quitté la Terre revenaient après une longue période, peut-être les considérerait-on comme des extraterrestres ?   

 

Prenez par exemple les anciens langages, il y a beaucoup d’éléments qui peuvent nous paraître étranges et qu’encore aujourd’hui nous sommes incapables de déchiffrer. En partant de ce postulat, j’ai commencé à me dire que si un langage et les mots qui le composent sont les vecteurs d’une culture et d’une civilisation, je pourrai concevoir quelque chose de semblable pour l’univers de Xevious. J’ai commencé à attribuer aléatoirement une signification à des sons pour établir un vocabulaire, en divisant la tâche avec la personne qui me chapeautait sur le projet. Une fois que nous avions établi la base du vocabulaire, on a commencé à lier les sons entre eux, en formant des mots à chaque fois plus complexes, et en donnant des noms aux ennemis et aux éléments qui composent le monde de Xevious.    

 

 

 

Traduction originale par Blackoak de www.shmuplations.com
 

 

 

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